Laurette de Vivie Aufroy

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Mayotte : les troubles dépressifs, symptômes d’inégalités [data-visualization]

À Mayotte, les enjeux en santé sont de taille. Selon les résultats de l’enquête santé européenne (EHIS) de 2019, 21% de la population mahoraise âgée de 15 ans et plus se déclarait en mauvais, voire très mauvais état de santé. Et la santé mentale ne déroge pas à ce constat : 23% des 15-29 ans considéraient s’être déjà trouvés en proie à des symptômes dépressifs, contre seulement 10% en métropole.

Les résultats de cette enquête de la Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques (DREES) viennent, encore une fois, souligner les profondes inégalités qui demeurent entre la France métropolitaine et les départements et régions d’Outre-Mer (DROM). L’île de Mayotte, ainsi que la Guyane, sont les DROM les plus sévèrement touchés par les troubles dépressifs.

Dans sa Stratégie Nationale de Santé (SNS) 2018-2022, le ministère des Solidarités et de la Santé expliquait que « les territoires de Mayotte et de Guyane sont confrontés principalement à une situation d’insuffisance de l’offre de soins face à des besoins croissants, induits par des flux migratoires et une forte natalité ».

Parmi les facteurs augmentant le risque de souffrir d’une dégradation de l’état psychologique, on retrouve entre autres le fait d’être dans un mauvais état de santé général, d’être confronté à des difficultés d’accès à l’emploi, ou encore le fait d’être né à l’étranger. Ces facteurs, évidemment non-exhaustifs, se retrouvent aisément à Mayotte.

Alors, comment peut-on laisser se perpétuer des inégalités si criantes entre la France métropolitaine et les territoires ultramarins ? 

Face à cette problématique, le gouvernement a donc annoncé vouloir “créer et développer” une offre en santé mentale à Mayotte. 

Des différences culturelles 

Ces inégalités en matière de santé sont aussi intrinsèquement liées aux différences culturelles existant entre la métropole et les territoires ultramarins.

Le docteur Kaoutare Bahri, psychiatre à Mayotte depuis quatre ans et ayant ouvert son propre cabinet à Mamoudzou il y a deux ans, explique que les populations mahoraises, qui sont essentiellement africaines ou caribéennes sont des populations moins industrialisées, moins isolées au niveau familial, qui vivent un peu plus en collectivité et qui, de ce fait, ont des symptômes et pathologies qui sont un peu différents de ceux de la métropole”. 

Selon la psychiatre, les personnes ressentant un mal-être auront plus tendance à se tourner vers leur entourage, plutôt que vers un spécialiste. La question de la santé mentale étant bien moins abordée qu’en France métropolitaine, il peut parfois s’avérer difficile pour les personnes en souffrance d’exprimer leur mal-être, ainsi que de trouver une oreille à laquelle se confier.

Le docteur Bahri relève d’ailleurs que depuis qu’elle exerce à Mayotte, elle reçoit “un peu plus de dépressions masquées avec des troubles douloureux chroniques”, ce qu’elle explique par le fait que les mahorais ont de manière générale moins accès à la verbalisation de leurs émotions, et vont donc par conséquent avoir plus tendance à somatiser.

Questionnée à ce sujet, l’Agence Régionale de Santé (ARS) de Mayotte explique qu’elle “a sollicité et financé les groupes d’entraides mutuelles de l’île pour organiser pour la première fois à Mayotte les Semaines d’informations sur la santé mentale (SISM) » : une action de promotion de la santé mentale s’étant poursuivie en 2022 et en 2023. 

L’ARS affirme également déployer des dispositifs proposant des actions de promotion de la santé mentale auprès de publics scolaires. À ce sujet, le docteur Bahri considère que malgré ces dispositifs, les élèves mahorais sont pour beaucoup en situation de grande précarité et “n’ont pas accès à une assez bonne éducation qui leur permettrait de verbaliser quoi que ce soit, et qui ne se sentent pas non plus assez secure dans leur milieu familial pour pouvoir parler de leurs émotions.”.  

De plus, les psychologues scolaires étant assez peu nombreux à Mayotte, ils sont contraints d’alterner entre plusieurs écoles, ce qui rend l’accès à une consultation encore plus restreint.

L’accessibilité des soins est d’autant plus complexe qu’à Mayotte, l’essentiel des activités se concentre à Mamoudzou, la capitale du département. Très peu de services médicaux sont dispensés en dehors de la ville, où il est d’ailleurs compliqué de se rendre étant donné de l’inexistence de transports en commun fiables, et la difficulté de circulation due aux embouteillages qui y sont constants.  Kaoutare Bahri, comme d’autres praticiens, se déplace régulièrement à l’extérieur de la capitale afin d’offrir des soins aux habitants des régions reculées.

Améliorer l’attractivité de Mayotte

Mayotte est le département français dont la population est la moins diplômée. Bien que l’île ne subisse pas réellement le phénomène de fuite des cerveaux, ce peu d’étudiants qualifiés ne suffit pas à combler les lacunes dans le milieu de la santé.

De plus, il a été démontré que le niveau d’études a une influence sur la probabilité de traverser un épisode dépressif : seulement 8% des mahorais diplômés du supérieur ont déclaré en avoir souffert (Enquête santé DOM 2019).

Le gouvernement a avancé, toujours dans sa SNS 2018-2022, vouloir améliorer l’attractivité de Mayotte afin d’encourager les professionnels libéraux à venir y exercer. 

Interrogée à ce propos, l’ARS affirme travailler afin de permettre la mise en place de davantage de contrats, tout en ayant édité un livret d’aide à l’attention de toutes les branches du milieu médical, détaillant entre autres les aides financières à l’installation disponibles. 

Les efforts produits afin de maximiser l’attractivité de l’île de Mayotte se font sentir, les effectifs augmentant considérablement dans certaines professions médicales et paramédicales, comme par exemple chez les infirmiers dont le nombre a augmenté de 654 à 865 entre 2013 et 2022. D’autres corps de métiers voient, eux, un progrès plus frileux, voire stagnant pour certains. 

Malgré les mesures mises en place, le nombre de psychiatres à Mayotte peine à augmenter, au grand dam de la population dont les besoins demeurent criants. Sur place, le docteur Bahri relève des avancées en la matière avec la création en 2022 d’une Maison de Santé Mentale par l’association Mlezi Maore, ayant vu le jour dans le cadre de l’appel à projet national Fonds d’Innovation Organisationnelle en Psychiatrie (FIOP), qui fut lancé par le Ministère des Solidarités et de la Santé. Ce nouveau centre accueille des jeunes jusqu’à l’âge de 19 ans et est soutenu par l’ARS de Mayotte.

Malheureusement, au-delà de cette structure, les avancées apparaissent comme plutôt maigres.

“ À l’hôpital, on a beaucoup de barrières pour plein de choses. Typiquement, quand il y a des nouveaux psychiatres qui viennent d’arriver, on va juste leur faire un contrat, ça sera trois mois à l’hôpital ou ailleurs. Sur le public en tout cas, il n’y a pas trop de volonté de faire bouger les choses. C’est une politique macroniste aussi. On privatise un peu tout et on fait en sorte de rien mettre sur le public.”, déplore la psychiatre. 

En somme, des initiatives sont bel et bien prises mais peu d’entre elles semblent aboutir. À l’issue de la période de la SNS 2018-2022, les troubles mentaux sont toujours très présents et peu soignés à Mayotte. Alors qu’il a été prouvé que le stress favoriserait les troubles dépressifs et vice-versa, l’opération “Wuambushu”, actuellement menée par le gouvernement d’Elisabeth Borne à Mayotte ne laisse pas réellement entrevoir des jours meilleurs en termes de santé, relèguant encore à l’arrière-plan ces problématiques.

 



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